jeudi 20 février 2014

Joan Fontcuberta retourne le cerveau dans son expo à la Maison Européenne de la Photographie

L’exposition Camouflages de Joan Fontcuberta est une délirante leçon de manipulation à la Maison Européenne de la Photographie jusqu’au 16 mars 2014.


La Maison Européenne de la Photographie (MEP) rentre complètement dans le jeu de Joan Fontcuberta, photographe-artiste de l’illusion et du détournement, en proposant un parcours d’exposition et une scénographie qui nous coincent dans son univers factice et pourtant si réel.

Le photographe nous fait croire à l’inénarrable de salle en salle, autour de thèmes variés traités dans le détournement de la réalité. Les 3 étages de l’exposition sont comme une mise en abime d’une œuvre qu’on ne quitte qu’une fois sorti. Les panneaux et cartels présentent chaque projet et chaque thème comme une recherche scientifique sérieuse et précise et dont on peine à remettre en cause de la crédibilité.

Le propos global de l’exposition, au-delà de susciter des gloussements, porte sur la vérité des images qui nous entourent. Le travail artistique est toujours une réalité factice même si la forme est réaliste et les artistes n’ont aucun scrupule à nous mentir [Joan Fontcuberta a fait des études de communication avant de se consacrer à l’art – CQFD]. Si Joan Fontcuberta peut nous manipuler, alors les médias le peuvent aussi.

La manipulation de l’information est le fil conducteur des salles Spoutnik et Déconstruire Osama qui détourne la couverture de faits historiques, à la frontière d’un mauvais goût jouissif et hilarant.

Déconstruire Osama et  Spoutnik © Joan Fontcuberta

Spoutnik © Joan Fontcuberta

Joan Fontcuberta nous livre aussi ses théories scientifiques dans les séries Herbarium, Fauna et Sirènes. Les textes accompagnant les images, extrêmement sérieux et dont la charte éditoriale pastiche avec brio la description scientifique pour le non-initié, inhibent notre capacité à discerner le vrai du faux… quand en l’occurrence tout est faux.

Herbarium, Fauna et Sirènes © Joan Fontcuberta

Les photographies de Constellations et Orogenèse nous font croire à de belles images de paysages, en nous laissant quelques indices sur leur tromperie.

Constellations : non pas une photo mais de la peinture © Joan Fontcuberta 
Orogenèse : des images réalisées « numériquement » © Joan Fontcuberta

La série qui m’a paru la plus vicieuse et donc la plus réussie est celle L’Artiste et la Photographie et tente de nous démontrer que les grands artistes espagnols Dalí, Miró, Tapies et Picasso étaient des photographes avant d’être des peintres.

L’Artiste et la Photographie © Joan Fontcuberta

Enfin, la moins subtile à mon goût mais pas la moins drôle : Miracle & Cie.

Miracle & Cie © Joan Fontcuberta

Tout au long de l’exposition, on y croit, un sursaut de lucidité nous vient, donc on se sent stupide d’être tombé dans le panneau mais dès la salle suivante le propos de Joan Fontcuberta est mis en images avec une technique si précise qu’on replonge ; le doute est permanent. Passionnant, mais j’en ai presque regretté l’absence de recul critique et d’accompagnement dans la compréhension de son travail.

Infos pratiques sur l’exposition Joan Fontcuberta à la Maison Européenne de la Photographie :


Jusqu’au 16 mars 2014

Durée de visite : 1h

Victime de son succès, il faut bien compter 20 minutes d’attente en fin d’après-midi et les week-ends, jusqu’à la fermeture. Même avec cette affluence, la visite reste fluide, car c’est le passage à la caisse (une seule pour tout le flux de public) qui ralentit l’entrée. Une bonne occupation pendant cette attente : la MEP est assez avare de contenu autour de l’exposition, pour mieux en profiter je vous recommande quelques rapides recherches avant la visite.

Du mercredi au dimanche de 11h à 19h45
Tarif 8€ / TR 4,5€ / gratuit le mercredi à partir de 17h

Plus d’informations sur le site internet de la Maison Européenne de la Photographie

Constance Jacquot
Publié sur Mother Shaker

lundi 10 février 2014

Expo de dessin contemporain : la donation Guerlain au Centre Pompidou

Le Centre Pompidou expose une sélection d’œuvres de la donation de dessins contemporains de la Fondation Guerlain. A travers 200 artistes originaires de 38 pays, l’exposition amène une vision globale sur les possibilités et les variations de cet art.


Le dessin est un art à part entière et a la particularité d’être à l’origine de tout processus créatif, universel et intemporel : c’est le premier geste de chaque artiste, le plus direct du cerveau à la main. Et pourtant, il peine à être considéré comme un art majeur, au même titre que la peinture ou la photographie, auprès des institutions et des collectionneurs.

La Fondation d’entreprise Guerlain a donc pour vocation la reconnaissance du dessin contemporain, notamment à travers le « Prix de dessin Guerlain », qu’elle a créé en 2006. La donation Guerlain au Centre Pompidou compte 1200 œuvres, dont celles des nominés. Leur intégration à la collection du Musée National d’Art Moderne et leur exposition devraient donner plus de valeur à cette technique et susciter de nouvelles vocations de collectionneurs, d’autant que le marché du dessin est parmi les plus accessible financièrement.

L’exposition du Centre Pompidou est située dans la galerie d’art graphique, à l’intérieur même du Musée National d’Art Moderne (donc gratuit pour les – 25 ans). On nous emmène à la découverte de toutes les possibilités offertes par le dessin : styles, traits, outils, supports et sujets sont sont montrés dans tout leur variété.

Claire Morgan – Ophelia (extrait) – 2009 – mine graphite, aquarelle et résidus de canard sur papier

Réalisations à l’encre, coulures, collages et même utilisation de fiente de canard, le dessin contemporain est loin de se restreindre à la mine et regroupe des supports et outils qui nécessitent de rassembler d’autres compétences que le coup de crayon.

Bernard Moninot – Ombres – 1981 – résine acrylique, pigment et noir de fumée fixée sur verre

Le dessin permet un graphisme très précis et détaillé, contre-balancé par la légèreté des décors et fonds. Le sujet est souvent le seul élément de la composition avec une large place laissée au blanc du papier.

Fabien Mérelle – Paul d’Aubervilliers – 2010 – encre sur papier

La collection de dessins contemporains de la Fondation Guerlain contient aussi bien des œuvres aux sujets actuels et lourds que d’autres plus légères et poétiques. La volonté de l’exposition d’approcher de l’exhaustivité se ressent bien dans le choix très international des artistes.

Pavel Pepperstein – Kandinsky tower (extrait) – 2007 – encre et aquarelle sur papier

Rina Banerjee – Wishing waters and grey spells enchanted her funny foe – 2009

Le dessin contemporain joue aussi avec l’abstraction.

Thomas Müller – 2010 – lavis et mine graphite sur papier


On se rend également bien compte au fil des œuvres, regroupées par artistes et par thèmes, que les notions de présentation et de mise en scène s’appliquent aussi au dessin.

Sandra Vasquez de la Horra – 2003-2011


Tous les publics trouveront leur compte dans l’exposition de dessins contemporain de la donation Guerlain :

  • Les amateurs d’art découvriront de nombreux nouveaux artistes et le travail au dessin d’autres qui se fait connaître grâce à d’autres techniques (par exemple Penone, dont on connait les sculptures d’art mais moins les dessins de cerveaux).

Giuseppe Penone – Foglie del Cervello – 1990 – empreintes au carbone et bandes adhésives sous verre

  • Les artistes seront inspirés par la multitude de supports, médiums et thèmes abordés.
    • Les novices s’y retrouveront aussi car, bien que dense, l’exposition est d’une lecture facile : les dessins sont moins chargés que des toiles et permettent un décryptage plus facile et l’exposition guide le visiteur grâce aux regroupements thématiques et par artistes. On regrette cependant qu’il n’y ait pas plus de ressources à disposition : le site et les dépliants disponibles sur places sont bien trop légers.
    Je recommande d’autant plus cette exposition de la Fondation Guerlain que la visite en est très fluide, certainement grâce à son installation dans l’espace de la collection permanente, dont la présentation vient d’ailleurs d’être renouvelée.

    Infos pratiques sur l’exposition de la donation Guerlain au Centre Pompidou :


    Jusqu’au 7 avril 2014

    Durée de visite : 45 min
    De 11h à 22h (fermeture des caisses à 20h), tlj sauf mardi
    Gratuit pour les -25 ans, sinon 13€/10€

    Site de l’exposition

    Constance Jacquot
    Article publié sur Mother Shaker

    mardi 4 février 2014

    Zeng Fanzhi, l’expo perturbante du MAM…

    Les artistes contemporains chinois, poids lourds du marché de l’art international mais encore peu présentés dans les institutions, gagnent en notoriété et le Musée d’art moderne de la Ville de Paris s’inscrit dans la tendance avec la rétrospective de Zeng Fanzhi, exposé pour la première fois en France.


    Vous avez jusqu’au 16 février 2014 pour découvrir dans cette expo au contenu et au tarif accessibles ce peintre pékinois bien connu des collectionneurs mais moins du grand public se reconnaît à son style marqué par la croisée des inspirations traditionnelles et modernes. Les peintures de Zeng Fanzhi sont chargées de références picturales et se révèlent de plus en plus déroutantes au fil de la visite, avec un coup de pinceau à la Pollock et un univers glauque comme celui de Bacon.

    Zeng Fanzhi – Pure Land – Huile sur toile 2012 – Courtesy Gagosian Gallery

    Dans les peintures de Zeng Fanzhi s’entrechoquent les influences picturales asiatiques et occidentales : les paysages chinois sont interprétés avec un graphisme pop art et expressionniste, des tableaux obscures et abstraits côtoient les thèmes politiques mais sans engagement de cet artiste resté en Chine mais mondialement vendu. Pure Land, peinture monumentale en 4 panneaux de plusieurs mètres de long, emprunte le sujet et le traité des branchages à la peinture traditionnelle chinoise sur des couleurs très pop pour le paysage avec un trait qui pourrait appartenir à un artiste expressionniste abstrait.

    L’exposition, antéchronologique, commence par les œuvres les plus récentes de Zeng Fanzhi, et certainement les plus impressionnantes par leur format et la vivacité du coup de pinceau. Les images et paysages même figés dans la toiles paraissent dynamiques grâce au talent de Zeng Fanzhi et l’œil y voyage facilement, angoissé par l’absence d’humains au profit d’animaux démesurés.

    Zeng Fanzhi – Hare (Lièvre) – Huile sur toile 2012 – Collection Pinault

    Cette rétrospective du MAM met en exergue le travail sous forme de séries de Zeng Fanzhi, dont l’une des plus perturbante est celle des masques, nourrie par l’idée que personne ne peut vivre sans masque dans nos sociétés modernes, surtout dans le Pékin grouillant de l’artiste.

    Zeng Fanzhi – Mask Series no.08 – Huille sur toile 1997 – M+ Sigg Collection

    Zeng Fanzhi – Portrait – Huile sur toile 2004 ©Zeng Fanzhi

    On retrouve dans cette série d’une part des symboles de l’esthétique socialiste récurrente en peinture tels que les foulards rouges, les fleurs colorées kitsch, et d’autre part des éléments déroutants comme les pupilles en croix. The Last Supper est une citation directe de l’œuvre de De Vinci mais aussi une analogie avec une réunion politique.

    Zeng Fanzhi – The Last Supper – Huile sur toile 2001

    La dernière salle de l’exposition Zeng Fanzhi est un point orgue de bizarroïdité avec des scènes d’abattoirs…

    Informations pratiques de l’exposition Zeng Fanzhi au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris :


    Jusqu’au 16 février 2014

    Du mardi au dimanche de 10h à 18h et le jeudi jusqu’à 22h
    Une expo très calme même le week-end

    Tarifs : 3,5€ à 7€
    Durée de visite : 40 min

    Site de l’exposition

    Constance Jacquot
    Publié sur Mother Shaker